21 février 2006

 

Contrat atypique, licenciements iniques

Les premiers dossiers de salariés contestant la rupture de leur contrat «nouvelles embauches» arrivent aux prud'hommes. Certains employés ont été ainsi renvoyés pour être tombés malades ou pour avoir réclamé le paiement de leurs heures supplémentaires.

«On n’embauche pas un jeune pour le licencier, on l’embauche pour lui permettre d’apporter ses compétences et participer à l’activité de l’entreprise. Plus il reste dans l’entreprise, plus il acquiert une bonne formation, moins l’employeur a intérêt à s’en séparer (…). L’intérêt d'une entreprise qui a formé un salarié, c'est de le garder le plus longtemps possible».

Voilà comment le Premier ministre de Villepin a prétendu répondre lundi aux «interrogations» sur «la période initiale de deux ans» durant laquelle le titulaire d'un contrat première embauche (CPE) peut être licencié sans motif.

Les mêmes arguments avaient été déployés avant et après l’institution en août dernier du contrat «nouvelles embauches» (CNE). Des arguments qui n’ont jamais convaincu les syndicats, au vu de la précarité inhérente à ce type de contrats. Selon eux, le véritable objectif du CNE, comme le CPE, est d’assurer une liberté totale de licenciement aux entreprisse et non de libérer l’embauche pour lutter contre le chômage.

Six mois après la création du CNE, la réalité semble leur donner raison. Les prud'hommes commencent à voir arriver un certain nombre de cas iniques de licenciement de salariés recrutés en CNE.

D'aucuns rapportent ainsi le cas d'un salarié licencié après avoir prévenu son patron qu'il devait se faire opérer et celui d'un boucher du nord de la France licencié pour avoir fait ses courses «en jogging» lors d’un jour de repos dans le supermarché où il exerçait.

D’autres font état du renvoi d’une jeune femme quelques jours après avoir annoncé sa grossesse ou d’un employé évincé pour dix minutes de retard. Le plus souvent, les salariés sont «remerciés» après avoir réclamé le paiement de leurs heures supplémentaires, affirment les syndicats.

«Des licenciements "pour l'exemple", destinés à bien faire comprendre aux salariés de l'entreprise qu'ils doivent être malléables et corvéables à merci».

Mais déjà une dizaine de dossiers prud'homaux vont voir leurs premiers jugements intervenir dans trois ou quatre mois».

Et ce n’est qu’un début : «le gros des ruptures devrait intervenir entre le 15e et le 20e mois, lorsque certains patrons vont vouloir se séparer de leurs employés juste avant que le CNE ne bascule en CDI».

Réservé aux entreprises de moins de 20 salariés, le CNE permet au patron de se séparer d’un employé sans motiver la rupture durant une période de deux ans dite de «consolidation».

Au delà, ce contrat se transforme en CDI (les mêmes dispositions sont appelées à régir le CPE destiné aux moins de 26 ans quelle que soit la taille de l’entreprise).

Les plaintes risquent fort de se multiplier dans les mois à venir, au regard de la «perversion du système », prédisent certains juristes spécialistes du droit du travail. Car, disent-ils, «l'ignorance du motif du licenciement va contraindre le salarié désirant le connaître à assigner presque systématiquement en justice son employeur».

Et ce même si, d’après les syndicats, il ne sera pas facile de faire émerger les plaintes, dans la mesure où les abus concernant des salariés employés en CNE auront lieu dans les petites entreprises. Là où l’implantation syndicale est plus faible, voire inexistante.

De plus, contrairement à un CDI ou un CDD, le salarié doit prouver que son licenciement est abusif et il ne dispose que de douze mois (au lieu de trente ans) pour le contester via une procédure pour abus de droit auprès des prud'hommes.

Ce qui fait dire aux juristes que les «CNE et CPE, accroissent l'insécurité sociale sans mettre les entreprises à l'abri des procédures judiciaires». Les syndicats ne s’en priveront pas. «Il y a des ambiguïtés et ce sont les tribunaux qui vont être amenés à prendre position dessus.

Même le Conseil d'État l'a reconnu: ces dossiers iront jusqu'à la Cour de cassation», avertit d’ores déjà le secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly.

En effet, pour le Conseil d’État, «l’ordonnance instituant le CNE n'a pas exclu que le licenciement puisse être contesté devant un juge, afin que celui-ci puisse vérifier que la rupture n'a pas un caractère abusif et n'est pas intervenue en méconnaissance des dispositions relatives à la procédure disciplinaire et de celles prohibant les mesures discriminatoires».





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